Quelques réflexions sur le secret de confession et au-delà

Ce billet n’est que la mise en forme de propos tenus sur deux réseaux sociaux différents, sous une forme plus ou moins décousue. J’ai pensé que les reprendre de manière un peu plus ordonnée intéresserait certains, mais ne vous étonnez donc pas d’avoir déjà lu les phrases, c’est un copié-collé-ordonné, disons. Ils sont bien entendus nés de la semaine qui vient se dérouler avec la remise du rapport de la CIASE aux évêques de France. En préambule, je voudrais insister sur le fait que la question du secret de confession est secondaire, en réalité ; ce n’est souvent pas dans ce cadre que la connaissance des faits émerge. Je pense que le président de la CEF s’est laissé piéger dès le lendemain de la remise du rapport par les questions d’un journaliste, d’une part ; et d’autre part que cela arrange certains catholiques, en focalisant le débat sur une toute petite partie du sujet au lieu d’aborder les questions fondamentales qui se posent sur la gouvernance dans l’Eglise, la place des femmes et celle des laïcs (NB : « place des femmes » inclut les femmes religieuses, « celle des laïcs » inclut les hommes laïcs ; d’où le doublon, non je n’exclus pas les femmes des laïcs…) dans les processus décisionnels, les principes anthropologiques défendus de longue date (remember 2012), la difficulté à envisager queles sciences humaines et sociales ne sont pas les ennemies de l’Eglise etc. Quoiqu’il en soit, puisque d’une part beaucoup de choses ont été dites, plus ou moins justes, cette semaine, et que d’autre part le secret de confession est un angle d’approche intéressant pour creuser cette question du secret, à mon tour je blablate dessus.

  1. Un peu d’histoire

Pour faire un peu d’histoire maintenant : le secret de confession est formulé pour la première fois explicitement au 4e concile du Latran, en 1215, en même temps que la confession est rendue obligatoire une fois par an. C’est aussi au même moment qu’il est officialisé que cette forme spécifique de la pénitence qu’est la confession auriculaire (« dans l’oreille » : ce qui suppose que même avant Latran IV, cette confession n’est pas faite pour être entendue par autrui ; mais les sanctions contre les prêtres qui révéleraient ce qu’ils ont entendu ne sont définies de manière stable qu’à Latran IV – en l’occurrence, c’est la relégation perpétuelle au monastère) est un sacrement. Donc tout ça va ensemble : 1) tout fidèle doit se confesser au moins une fois par an à son curé. Pourquoi « à son curé » ? parce que celui-ci a le « soin des âmes » et que la confession est le moyen pour lui de connaître ses ouailles, en plus d’être le moyen d’assurer son autorité sur lesdites ouailles, puisqu’il est à même de les mener au salut, excusez du peu, ce qui est le 2) la confession est un sacrement, et 3) la confession est secrète, ce qui, au moment où c’est défini, vise à protéger le pénitent non pas de la justice mais de forme de vengeances sociales, y compris d’ailleurs de la part du curé. L’idée est d’encourager les fidèles à pratiquer la confession, pour être sauvés. Le but est la finalité même de l’Eglise : aider les fidèles à parvenir au salut. De plus, la confession suppose l’aveu des fautes, donc la conscience de les avoir commises et un repentir suffisant pour souhaiter en être absous (le prêtre constatant que le fidèle ne repent pas vraiment ne donne pas l’absolution, et dans certains cas l’absolution est conditionnée à la réparation). Par ailleurs, le secret permet de justifier la confession de tout ce qui relève du péché, y compris le plus intime, y compris les péchés d’intention ; en réalité, la confession secrète est un formidable moyen pour l’Eglise d’inculquer ses normes morales. En même temps que la confession, le champ du péché s’élargit, en réalité. La confession secrète permet à la fois d’accentuer l’idée d’une relation intime, quoique médiatisée par le prêtre, entre Dieu « qui sonde les coeurs et les reins » et le fidèle ; et d’affirmer que l’Eglise, parce que le sacrement de l’ordre donne au prêtre le « pouvoir de lier et délier les péchés », est le vecteur nécessaire de cette relation. Ce même concile de Latran IV définit aussi la procédure « inquisitoire », qui associe possibilité par le juge (ecclésiastique, mais pas que) de se saisir d’une affaire sans accusation, notamment s’il est informé par la rumeur, et procédure d’enquête, pour établir la vérité des faits. Par définition, ce qui est entendu en confession, si ce n’est connu que par là et qu’il n’y a pas d’autre modalité par laquelle l’information arriverait non pas au confesseur, mais au juge (en principe, on ne peut pas être confesseur et juge), ne relève pas de ce qui est public, et donc pas du champ judiciaire.

2. Le secret de confession est-il « au-dessus des lois de la République » ?

C’est la fameuse phrase qui a mis le sujet au cœur des discussions, pas merci le journaliste. Bref. D’abord, personnellement l’idée que quelque chose puisse être au-dessus des lois de la République ne me choque pas ; ce « quelque chose » s’appelle bêtement la conscience, quand la loi est injuste. Après, on assume, hein (et/ou on essaie de faire changer la loi).

Bref, dans le cas du secret de confession, cela a été explicité dans plusieurs médias dans la semaine, en réalité il n’est pas « au-dessus » des lois de la République, puisqu’il y est prévu, ou plus exactement il a été pris en compte par la jurisprudence : http://www.justice.gouv.fr/bulletin-officiel/3-dacg95c.htm Si je résume cette longue circulaire, une jurisprudence « ancienne » (avant 1905 et la séparation des Eglises et de l’Etat) assimilait le secret de confession au secret professionnel exigé des médecins et avocats. Ce secret est protégé par la loi (celui qui l’enfreint peut être sanctionné). Mais, par l’article 226-14 du code pénal, celui qui l’enfreint dans le cas « d’atteintes ou sévices graves à un mineur de moins de 15 ans » ne tombe plus dans l’infraction au secret professionnel et ne peut pas être sanctionné. Il n’y a donc pas obligation de dénoncer, mais possibilité, au regard du droit pénal s’entend (je parlerai de droit canonique plus tard). Des actes judiciaires de 1998 et 2001 montrent que la jurisprudence tend à limiter le secret professionnel appliqué aux prêtres, à l’exercice de la confession (alors que la jurisprudence plus ancienne l’entendait plus largement, conformément au droit canonique). Il me semble, à cause de ce que je vais expliquer ensuite, que la jurisprudence va surtout devoir se pencher sur ce qui, dans la confession, relève ou non du secret, question sur laquelle le droit canonique va devoir se pencher également et en réalité s’est penché fort récemment avec une vision extensive qui, personnellement, m’interroge.

3. Que recouvre le « secret de confession » ?

Dans la « défense » du secret de confession depuis quelques jours, l’argument plusieurs fois utilisé est que la confession est un lieu de parole pour les victimes, qui parlent parce que ce secret leur facilite les choses, et que ce lieu permet alors au prêtre d’entamer le dialogue, hors confession, menant éventuellement à la dénonciation des faits à la justice par la victime elle-même. Je ne parle donc pas de la question de la confession des agresseurs, même si en fait une partie de ce qui suit peut se poser aussi dans ce cadre. J’ajoute que cette question de la facilitation de la parole par le secret de confession, même du côté des victimes, me semble assez bien documentée et qu’il est trop facile de la balayer d’un revers de main. Ce qui n’empêche pas, bien au contraire, de réfléchir.

Dans les propos tenus ces derniers jours, il y a donc l’idée que le secret de confession est un absolu canonique, qui concerne tout ce qui se dit en confession. Ce qui explique que même quand une victime parle en confession de ce qu’elle a subi et qui n’est donc pas son péché, le prêtre ne pourrait pas le révéler, au nom de ce secret. Or, le code de 1983 ne dit pas cela. La traduction française du c. 983 donne ceci  : « Le secret sacramentel est inviolable ; c’est pourquoi il est absolument interdit au confesseur de trahir en quoi que ce soit un pénitent, par des paroles ou d’une autre manière, et pour quelque cause que ce soit. » Le latin donne prodere, traduit par « trahir ». Le terme laisse la place à une large interprétation : qu’est-ce que « trahir » le pénitent ? Notamment quand on parle d’actes dont il n’est pas fautif, mais victime ? Le c. 983 donne : « L’utilisation des connaissances acquises en confession qui porte préjudice au pénitent est absolument défendue au confesseur, même si tout risque d’indiscrétion est exclu. » La précision « qui porte préjudice au pénitent » ouvre là encore la voie à une interprétation, et une éventuelle dénonciation des agresseurs dans le cas qui nous occupe. Le même canon au §2 écrit : « Celui qui est constitué en autorité ne peut en aucune manière utiliser pour le gouvernement extérieur la connaissance de péchés acquise par une confession, à quelque moment qu’il l’ait entendue. », ce qui pourrait fermer la porte, au contraire, si « la connaissance de péchés » s’entend de « tous péchés, même ceux commis par un autre que celui qui se confesse », mais au vu des formations du code, cela n’a rien d’évident, et le c. 17 du même code qui affirme « Les lois ecclésiastiques doivent être comprises selon le sens propre des mots dans le texte et le contexte; si le sens demeure douteux et obscur, il faut recourir aux lieux parallèles s’il y en a, à la fin et aux circonstances de la loi, et à l’esprit du législateur. » laisse la vie libre à une large jurisprudence.

En clair, le code ne parle pas d’une situation comme celle évoquée par le président de la CEF et d’autres, à savoir la connaissance en confession d’un péché (et d’un crime, ici) commis non pas par le pénitent, mais par quelqu’un qui lui a nui et est susceptible de nuire encore. Dans mes petites recherches, je suis alors tombée sur un texte datant de 2019 et issu de la Pénitencerie apostolique, la plus haute instance de l’Eglise en matière pénitentielle : https://droitcanonique.fr/sources-droit/dcmodel-autresource-88-88. Je vous invite d’abord à lire le long préambule, qui associe développement d’une opinion publique, circulation d’informations « touchant même aux sphères les plus privées et réservées », contexte « des récents scandales d’horribles abus, commis par des membres du clergé », évacués en une phrase, et « préjugé négatif » des sociétés modernes sur l’Eglise, sociétés qui ont « une prétention injustifiable que l’Eglise elle-même, dans ces domaines, conforme sa propre législation à celle des Etats ». Cette note est en fait une longue explication du secret de confession et du secret dans le cadre de l’accompagnement spirituel. On y lit notamment : « La doctrine a ensuite contribué à préciser ultérieurement le contenu du sceau sacramentel  [NDLR : ce qu’on appelle couramment le secret de confession], qui comprend tous les péchés aussi bien du pénitent que d’autres personnes, connus par la confession du pénitent, aussi bien mortels que véniels, secrets ou publics, en tant qu’ils sont manifestés en vue de l’absolution, et donc connus du confesseur en vertu du savoir sacramentel ». Mais d’une part, « la doctrine », cela reste vague ; d’autre part, le « en tant qu’ils sont manifestés en vue de l’absolution » ne concerne toujours pas le cas qui m’occupe : un fidèle agressé sexuellement qui le raconte en confession ne cherche pas son absolution pour ça, puisqu’il n’en est pas coupable, et ne cherche pas l’absolution du coupable.

J’ai donc poursuivi mes recherches, grâce aux références données dans ce même texte, et c’est dans le Catéchisme de l’Eglise catholique que j’ai trouvé le passage qui colle avec cette vision très radicale du secret de confession, avec au c. 1467 cette phrase : « [Le confesseur] ne peut pas non plus faire état des connaissances que la confession lui donne sur la vie des pénitents. » Donc, secret absolu, fin de l’histoire. Sauf qu’en termes de hiérarchie des normes, il y a une faille, là : le CEC l’emporte-t-il sur le Code de droit canonique ? sur une éventuelle jurisprudence (toujours dans la limite de la justice ecclésiastique) ?  

Par ailleurs, la note de la Pénitencerie encore écrit aussi ceci : « Le sceau [sacramentel] ne relève donc pas non plus de la volonté du pénitent, qui une fois célébré le sacrement, n’a pas le pouvoir de relever le confesseur de l’obligation du secret, parce que ce devoir vient directement de Dieu. » Je n’ai pas trouvé d’où vient cette idée, si elle est fondée sur d’autres textes antérieurs. Mais en tout cas, dans ce texte qui, je le rappelle, a 2 ans, une victime d’agression sexuelle qui a trouvé le courage de parler en confession ne peut pas autoriser le prêtre à en parler à son tour, sauf à répéter hors confession ce qu’il a dit en confession. En pratique, c’est cela qui est conseillé aux prêtres : arrêter la confession et demander « prudemment » si le fidèle veut bien redire hors de la confession. Mais en réalité cette pratique, qui semble ménager et le secret de confession et le devoir de protection des mineurs, est déjà limite par rapport à cette fameuse note de la Pénitencerie qui affirme ailleurs que « L’interdiction absolue imposée par le sceau sacramentel est telle qu’elle empêche le prêtre de parler du contenu de la confession avec le pénitent lui-même, en dehors du sacrement », et cite Jean-Paul II qui conseillait de ne pas demander ce consentement (pour respecter totalement le secret). Il y a même une forme d’obligation à l’oubli : « Par sa nature particulière, le sceau sacramentel va jusqu’à lier le confesseur également «intérieurement», au point qu’il lui est interdit de se souvenir volontairement de la confession et qu’il est tenu d’en écarter tout souvenir involontaire. » Là encore je n’ai pas trouvé sur quoi se fonde la Pénitencerie pour « fermer » à ce point ce secret.

Ce que j’essaie de dire ici c’est que « la doctrine » a manifestement aujourd’hui une interprétation très stricte du secret de confession, reprise dans certains propos de cette semaine, et qui est en réalité au-delà de ce que dit le code de 1983. Pourquoi, comment ces interprétations radicales (qui, je répète, empêchent en réalité même un fidèle agressé d’autoriser le prêtre à révéler ce qu’il a entendu, sauf à le répéter lui-même une seconde fois, histoire de bien remuer le couteau dans la plaie…) ont fini par s’imposer, je ne le sais pas. Le préambule et la date de la note de la Pénitencerie apostolique n’incitent pas à la bienveillance dans les suppositions, hélas. Cette même note développe aussi le secret un peu moins strict de l’accompagnement spirituel, non sacramentel, mais dont on voit bien dans les formulations choisies qu’il y a une tension vers le maintien le plus ferme possible. Ceci dit, dans tous les cas, la question de la révélation de ce qui n’est pas le péché du pénitent n’est en réalité pas traitée. Les interstices dans l’interprétation du secret de confession existent canoniquement.

Je l’ai dit en préambule : à mon sens, le secret de confession, dans les affaires d’agression sexuelles, n’est pas le problème de fond. En revanche, ce qui précède montre qu’il y a un sur-investissement du secret dans l’Eglise, au titre du souci pastoral et du charisme propre au prêtre agissant, parce qu’il est ordonné, à la place du Christ. Il y a de gros noeuds à dénouer, des articulations à casser, pour que tout cela bouge.

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